lundi 29 octobre 2012

Les péripéties nordiques d'un biologiste

Suite au dernier article de Geneviève sur le milieu enseignant au Nunavik, j’ai pensé également vous donner un petit aperçu de mon travail ici à Inukjuak, celui de biologiste de la faune pour le (prendre son souffle ici) Conseil de gestion des ressources fauniques de la région marine du Nunavik.

En gros, le Conseil est formé de six membres, quatre Inuits et deux « blancs du Sud », et a pour mandat de gérer la faune marine du Nunavik, de la Baie James à la frontière du Labrador. Vous conviendrez qu’il s’agit d’un territoire immense, et les enjeux légaux sont plutôt complexes compte tenu que le Québec, l’Ontario, le Nunavut, le Labrador, le fédéral et les premières nations Inuit et Cris ont tous leur mot à dire. Mon rôle consiste entre autres à fournir les meilleurs informations possibles aux membres du Conseil pour leur permettre de prendre des décisions éclairées et gérer l’utilisation et la conservation des espèces comme l’ours polaire, le béluga, le narval, allant jusqu’aux crevettes nordiques!

C’est un meeting que j’ai eu la semaine dernière qui m’a donné le goût de vous donner quelques anecdotes typiquement nordiques vécues dans le cadre de mon travail ici. Notre réunion avait lieu à Aupaluk, la plus petite communauté du Nunavik, du haut de ses 180 habitants, sur la Baie d’Ungava. Un calme et un silence certainement apaisants, des habitants aimables et souriants, un petit havre isolé vivant au rythme des marées les plus hautes au monde! La pêche aux moules y est très populaire, puisque l’immense baie devant le village se vide littéralement sur plusieurs kilomètres chaque jour, exposant bien malgré eux les délicieux mollusques. Malheureusement, ce beau tableau que je vous dépeins changera bientôt plus que drastiquement. En effet, la compagnie Oceanic Iron Ore est sur le point d’implanter un projet d’exploitation minière d’envergure à quelques kilomètres du village. Trois milles (!!!!) travailleurs viendront sous peu s’installer dans la région pour voir aux travaux de mise en place des divers chantiers et à la construction des infrastructures. Des routes, un port, une piste d’atterrissage pour les avions, des camps et des maisons pour loger tout ce beau monde, sans compter les sites d’excavation à ciel ouvert. Aupaluk : 180. Oceanic : 3000. Vous devinerez que lorsque j’ai demandé au maire du village comment la communauté réagissait face à ce qui s’en venait, bien décontenancé, il m’a dit : « we’re brainstorming… ».




Nous avons dû passer par Kuujjuaq en chemin vers Aupaluk. J’étais bien excité de visiter un autre village qu’Inukjuak et de le voir de mes propres yeux. Premières surprises : pas de neige là-bas, et il y a des arbres haha!!! Je sais que pour n’importe qui ça semble anodin, mais c’était quand même les premiers arbres que je voyais depuis mon départ en juillet! Kuujjuaq est beaucoup plus gros qu’Inukjuak, pas nécessairement en terme de population (2400 vs. 1600) mais certainement en terme de superficie du village, d’infrastructure et de services! Un petit tour à l’épicerie a été suffisant pour me convaincre de leur sélection impressionnante de BOUFFE :). Que voulez-vous, dans le Nord, on est fasciné par le fait de voir une vulgaire aubergine!!



J’y ai fait un petit jogging un bon matin et j’ai pu découvrir un peu aux alentours. Je me suis retrouvé sur une superbe plage longeant le village, le sable durci par le gel, et accompagné de pas un, pas deux, mais trois chiens errants qui ont décidé de partager ce workout avec moi haha! Photo à l’appui.



Bon. Ma réunion à Aupaluk maintenant. Je ne sais pas si vous vous souvenez de mon article sur mon premier vol d’arrivée, où je disais qu’il fallait être zen dans le Nord. Et bien, je vous laisse juger si cette conclusion s’applique ici aussi ;)

Il s’agissait d’une réunion régulière du Conseil, abordant plusieurs sujets et réunissant tous les membres (que je rencontrais pour la première fois d’ailleurs) ainsi que quelques conseillers d’agences gouvernementales et des partenaires d’autres organisations telles que la Société Makivik, qui défend et représente les Inuits du Nunavik dans plusieurs dossiers. Je suis arrivé le premier à Aupaluk pour me charger de la logistique et préparer l’arrivée de tout ce cortège. C’est assez intimidant d’arriver seul « au bout du monde » et de ne pas trop savoir à quoi s’attendre. Premièrement, personne à l’aéroport pour me prendre. Une dame bien aimable et qui m’était de toute évidence totalement inconnue a heureusement eu la gentillesse de me déposer à l’hôtel. Vive les petits villages. Deuxièmement : aucun personnel à l’hôtel. Great. Not. J’avais beaucoup de choses à préparer et de gens à rencontrer durant les quelques heures que j’avais avant l’arrivée des autres, et j’aurais bien aimé déposer mes bagages dans ma chambre. Mais dans un si petit village, la réceptionniste de l’hôtel peut tout aussi bien être pompiste à la station service et professeure d’école. En même temps. Alors je m’installe confortablement dans le lobby et tente de joindre mon monde au téléphone.

Je finis par avoir les clés des chambres pour notre groupe, et rencontre le maire qui me fait gentiment faire le tour du village. La salle de réunion sent dangereusement le poisson, pour des raisons que j’ignore, mais dont je me doute, et je me dis que ça pourrait être pire. Restons zen. Je rentre finalement en communication avec le directeur des camps de construction avec qui on fait affaire pour les repas pour la semaine. Les camps hébergent plusieurs ouvriers tout au long de l’année et possèdent une cuisine toute équipée, ainsi que le personnel nécessaire pour nourrir ces travailleurs affamés. En général, il n’y a pas de restaurant dans les hôtels ici, seulement des cuisinettes communes, alors la cuisine du camp était notre meilleure option. Mais voici le hic : pour plusieurs raisons compliquées, notre réservation à la cuisine n’a pas été confirmée à temps, et les cuisiniers n’ont donc pas pu commander la nourriture supplémentaire nécessaire pour notre groupe pour la semaine. J’ai donc 17 personnes qui s’en viennent, dont quelques-uns âgés de plus de 65 ans, qui n’auront rien à manger pour les trois prochains jours. Je me dis instantanément : j’étais si bien et tranquille à courir avec les chiens sur la plage à Kuujjuaq… Dans toute cette pagaille et après quelques conversations pour le moins épicées avec les personnes concernées, j’ai réussi à négocier le souper du soir même pour tout le groupe, puisque à cette heure, la COOP (l’épicerie) était fermée, donc impossible d’acheter de la nourriture.

Quelle fût donc la solution à tout ce problème? Et oui, mon collègue et moi, on a fait les cooks pour tout le groupe pour la semaine haha! La cuisinette commune à l’hôtel était bien plus qu’une cuisinette finalement, munie de double fours et de tout ce dont on pouvait bien avoir besoin! On a même pris goût à nourrir toute cette gang, et tout s’est bien déroulé finalement. Nous nous sommes même négocié quelques jours de congé pour les heures supplémentaires de labeur intense ;) Petite anecdote cocasse cependant : le premier matin, puisque la COOP était fermée à l’heure du déjeuner, on a dû commencer notre réunion sans que personne n’ait encore rien mangé. J’ai donc quitté le meeting vers 10:00 le matin pour aller chercher des trucs à déjeuner, histoire de donner un peu d’énergie à tous ces cerveaux dans la réunion! Et n’ayant pas de véhicule pour me déplacer, j’ai demandé à la caissière de la COOP si je pouvais emprunter le panier d’épicerie pour amener ma commande jusqu’à la salle de réunion, à l’autre bout du village. Après m’avoir regardé comme si j’étais un extraterrestre, elle a dit « I guess you can do that! » et je me suis donc retrouvé au beau milieu d’un village perdu dans le Grand Nord québécois, poussant mon panier d’épicerie sur la rue principale, en me faisant dévisager par à peu près tout le monde sur mon passage (même les chiens semblaient me regarder croche), en me demandant franchement dans quelle aventure j’avais bien pu m’embarquer!!



En terminant, faire la bouffe pour tout le monde et manger tous ensemble m’a aussi permis de partager plus de temps avec tous ces gens, et en particulier avec les membres inuit du Conseil. Je n’ai pas eu beaucoup d’exposition directe à la culture inuit depuis mon arrivée et ça m’a fait du bien de rentrer un peu dans leurs bulles cette fois! Ils avaient amené leur propre nourriture (avoir su on ne se serait pas donné tout ce trouble, mais bon…) et j’ai donc pu goûter à du « mattaq » (la couche de peau et de gras du béluga) et du caribou cru congelé, trempé dans du « misrak », ou Inuit honey comme ils l’appellent. En gros, le mattaq c’est très dur, il faut entailler chaque morceau au couteau pour rendre la mastication plus facile, et le goût est très doux, un mélange de cartilage et de poulet pas cuit (hmmmm ça vous donne le goût n’est-ce pas?!). Le caribou cru congelé c’était très passable, même bon, et le « miel inuit » goûtait un peu comme une sorte d’alcool forte, qui réchauffe la gorge à chaque bouchée. Ça ne sentait vraiment pas les roses par contre, une odeur concentrée et forte de vieux poisson laissé beaucoup trop longtemps à la température de la pièce, si vous voyez ce que je veux dire… J’ai su bien malgré moi et seulement une semaine plus tard comment les Inuits fabriquent leur supposé miel justement, et j’ai immédiatement compris d’où venait l’odeur. Ils tuent un phoque, enlèvent la peau, la tourne à l’envers et forment une sorte de sac, mettent le gras du phoque dans ce sac, et laisse fermenter cette belle concoction jusqu’à ce que le gras se liquéfie. Le liquide qui en sort, c’est ça, leur « miel » :S…

2 commentaires:

  1. oublies pas de ramener un phoque mort a montreal ! le miel sonne tellement bon !!!

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    1. Ça y est, je me pars une contrebande de miel de phoque!

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